dimanche 17 mars 2013

Il peut paraitre incongru, voire anachronique, d’évoquer par les temps qui courent ou les –ismes fleurissent, « l’humanisme », appliqué à la médecine, de convoquer ce terme même, tant l’époque semble lui être étranger, et nous invite impérativement à le redéfinir, à le revisiter.

Il y a comme une injonction dans l’air, goguenarde : « Alors, toujours humaniste ? ». L’idéologie dominante tend à évacuer de la relation médecin-patient la compassion, le subjectif, l’écoute patiente, sacrifiés sur l’autel de l’efficacité, de la technicité, de l’objectivité. C’est, ne nous y trompons pas, c’est cette médecine là , débarrassée des embarras de la subjectivité, des contingences humaines qui encombreraient la relation médecin-patient, la parasiteraient, empêcheraient la science de faire son travail d’expertise, que l’on nous propose comme modèle, comme nouveau paradigme. Une médecine enfin débarrassée de l’ « histoire » des patients ! 

Cette médecine idéale, virtuelle, est à mille lieues de la « vraie vie », de l’ « expérience vive » dont parle Paul Ricoeur, celle du patient, et celle du médecin. En somme, la médecine est elle du côté de « la preuve », ou du côté de l’ « épreuve » ? Lorsqu’une jeune généraliste , JADDO, crée son Blog de jeune remplaçante lancée dans la jungle de la pratique médicale, des dizaines de milliers de médecin se reconnaissent en elle, et son livre « Juste après dresseuse d’ours » se vend à des dizaines de milliers d’ exemplaires, preuve, s’il en fallait une, que les médecins et les patients sont avides d’une parole libérée de la prison des « preuves » scientifiques, du carcan de la langue de bois médicale, et qui dise la vérité de tous les jours du métier de médecin. Que naisse, enfin, une génération de médecins qui parlent ! 

Martin Winckler, pionnier de la médecine-réalité convertie en littérature, dit dans la préface de ce livre : « De quoi avons nous besoin pour soigner ? Nous avons besoin des mots ; des expériences qu’ils racontent, des sentiments qu’ils portent, des vérités qu’ils mettent au jour. Nous avons besoin de ce regard vif, de cet humour, de cette colère ». Adoptons donc sans complexe et sans préjugé ce beau mot d’humanisme , un terme polysémique, porteur de nos colères contre les apparatchiks de la Santé, le sectarisme d’un scientisme qui n’a pas l’humilité d’écouter les leçons de la science, la dictature de la « T2A »(1), les Professeurs qui ne professent plus, le recrutement des futurs médecins parmi une sorte d’élite scientifique, L’Université qui ne prépare pas à faire face à la pénurie de généralistes, ni à affronter les nouveaux besoins liés au vieillissement . 

Dressons le constat, faisons en le lieu de notre questionnement, voire, terme à la mode, de notre légitime « indignation ». Car avant d’agir, il faut comprendre. D’avoir fait de la santé une marchandise, elle est logiquement entrée dans la spirale mercantile. Des gens sans scrupules s’en sont emparés. La Médecine a perdu son sens premier. Certains ont fait d’elle leur chose, en un vaste business, et dans un monde d’hygiénisme érigé en religion. La Médecine et la santé publique sont livrées pieds et poings liés à l’Opinion Publique, ce mirage, cette dictature, et au Grand Régulateur.
Approprions nous sans complexe le terme d’Humanisme, faute de mieux, pour signifier que nous sommes entrés en résistance contre les processus de « déshumanisation » de la médecine. Utilisons le comme métaphore, symbole d’un dire qui dépasserait ce mot si banalisé. Investissons ce « lieu commun », dont l’usage a dégradé le sens. Armons nous d’un humanisme de combat, échangeons sur tout ce qui en médecine est « humain, inhumain, trop humain »(2). 

 Jean Pellet 

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(1) Tarification à l’activité, qui exige désormais de la médecine d’être « rentable » 
(2) Yves Michaud